Le phénomène intéressant en ce mois de mars 2021 est un phénomène très furtif, quelques secondes, et invisible à l’œil nu : l’occultation d’une étoile par un astéroïde.
Dans la nuit de vendredi 19 à samedi 20 mars 2021, l’astéroïde (1048) Feodosia va passer entre la Terre et l’étoile HIP 61099. Pour un observateur situé là où l’ombre de l’astéroïde va passer sur Terre,
il verra l’étoile disparaître subrepticement, puis réapparaître quelques instants plus tard. Dans le principe, le phénomène n’a rien d’extraordinaire, puisque c’est le même phénomène qui se produit lors d’une éclipse de Soleil.
Dans ce dernier cas, c’est la Lune, qui, passant entre la Terre et l’astre du jour, va masquer et donc éclipser le Soleil. Si le principe de l’éclipse de Soleil est acquis, il suffit de remplacer la Lune par un astéroïde
et le Soleil par une étoile lointaine pour comprendre le phénomène de l’occultation d’une étoile par un astéroïde, avec des distances bien sûr autrement plus importantes.
Ce type de phénomène n’a rien d’exceptionnel, puisqu’il peut s’en produire plusieurs au cours d’une même nuit. L’événement n’aurait-il donc qu’un simple intérêt visuel et esthétique ?
Que non !
L’observation de ce type de phénomène, avec une instrumentation adaptée, peut fournir des renseignements ayant une grande valeur scientifique.
En premier, l’événement étant prévisible par calcul, son observation validera si le calcul est correct. Mais aussi, et surtout, cette observation permettra de vérifier les éléments de base ayant permis ce calcul.
Ces éléments de base constituent ce que l’on appelle les éléments d’orbite. Ces données (distance au Soleil, excentricité de l’orbite, inclinaison…) sont un peu la carte d’identité d’un astéroïde. Plus l’exactitude de ces
valeurs est grande, et plus les calculs vont donner des prévisions de position exactes. L’occultation d’une étoile par un astéroïde permet donc de vérifier que cet astéroïde se trouve là où le calcul a prévu qu’il soit.
D’autre part, si un réseau d’observateurs peut être constitué, l’observation du passage de l’ombre par plusieurs stations d’observation va permettre de tracer les contours de cette ombre et, par voie de conséquence,
la forme de l’objet. Ce résultat est remarquable dans la mesure où ce type d’observation peut être réalisé avec des instruments très modestes (200 à 300 mm d’ouverture, 100 mm pouvant suffire si l’étoile est assez brillante).
Au risque de surprendre, cette méthode d’observation à plusieurs instruments modestes utilisés lors d’une occultation d’étoile fournit même une approximation de la forme plus précise que si on image l’astéroïde en vision directe
avec un télescope géant (8 ou 10 mètres de diamètre), car l’objet est si petit (entre 50 et 900 kilomètres pour les plus gros) et si loin (entre 400 et 500 millions de kilomètres pour les astéroïdes de la ceinture principale)
que sa taille angulaire
dans le ciel est très faible et qu’il est donc très difficile de capturer sa forme.
Qui verra-t-on ?
(1048) Feodosia est un astéroïde de la ceinture principale, ce qui signifie qu’il orbite avec des centaines de milliers d’astres semblables entre les planètes Mars et Jupiter.
Le chiffre mis entre parenthèses devant le nom de l’objet rappelle son numéro d’ordre. (1048) Feodosia est donc le 1048e astéroïde découvert. Sa première observation remonte au 29 novembre 1924 par l’astronome
allemand Karl Reinmuth, à l’observatoire du Königstuhl, non loin de Heidelberg.
Si la distance moyenne au Soleil est d’environ 408 millions de kilomètres, sa position la plus proche au Soleil, soit son périhélie, est à 335 millions de kilomètres, alors que sa distance la plus éloignée, son aphélie, est à
483 millions de kilomètres au Soleil.
Son orbite est donc assez elliptique (excentricité : 0,181).
Du fait de sa distance, il effectue une rotation autour du Soleil en 4,5 ans. La taille de Feodosia est estimée à 70 km de diamètre. Il tourne sur lui-même en environ 10 h 30.
Quant à l’étoile HIP 61099 (SAO 82349), il s’agit d’une étoile rouge de classe spectrale K0 qui est située à 84 années‑lumière du Soleil. Située presque au milieu de la constellation de la Chevelure de Bérénice, cette
étoile a une
magnitude de 7,7, ce qui interdit de la voir à l’œil nu (l’œil capte des étoiles jusque la magnitude 6). Pour la trouver, on indiquera que HIP 61099 est située à 50′ au sud‑est (en bas à gauche) de la faible étoile
(magnitude 5,7) 20 Com,
normalement accessible à l’œil nu sous un bon ciel.
Que verra-t-on ?
La scène se déroulera dans la constellation de La Chevelure de Bérénice, une très discrète constellation cernée au nord par la Grande Ourse, puis en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre, par le Lion, la Vierge et le Bouvier.
La carte de champ ci‑jointe doit aider au repérage.
A priori, une simple paire de jumelles 10 × 50 devrait permettre de voir 20 Com, puis HIP 61099.
Pour profiter au mieux du phénomène, on s’allongera sur un transat en posant les coudes sur les accoudoirs afin de stabiliser les jumelles.
Mais la scène sera bien mieux vue dans une petite lunette ou un petit télescope. On aura au préalable mis, si possible, l’instrument en station équatoriale afin de pouvoir suivre, même manuellement, l’étoile. S’il y a un moteur, c’est
encore mieux : on ne s’occupera de rien. Il suffira d’avoir l’œil rivé à l’oculaire pour savourer l’instant.
Si HIP 61099 sera brillante, il n’en sera pas de même de l’astéroïde qui, avec une magnitude de 13, sera inaccessible pour toute optique inférieure à 250 mm.
La Lune, présente dans le ciel sous la forme d’un gros croissant très proche de Mars, au‑dessus de l’horizon ouest, ne devrait pas être trop gênante, d’abord parce qu’elle se situera à 106° de la Chevelure, et parce qu'elle sera
proche de son coucher. Au moment
de l’occultation, HIP 61099 sera à + 58° au‑dessus de l’horizon sud, donc relativement haute, ce qui optimisera les conditions d’observations.
Le phénomène est censé avoir lieu à partir de 0 h 30 min 21 s heure légale (UTC + 1 h) samedi 20 mars 2021 et durera 6,8 s.
Attention ! Le phénomène ne sera pas visible partout en France. A priori, la limite sud de visibilité se situera au centre de Paris, et la limite nord passera au nord d’Amiens dans la Somme. Tout observateur situé entre ces deux
lignes
devrait voir l’occultation.
Que verra-t-on au juste ?
À l’instant T, l’étoile va disparaître soudainement, masquée par l’astéroïde. Puis, un peu plus de 6 secondes après, l’étoile va réapparaître, l’astéroïde continuant sa route sur son orbite autour du Soleil. Même si on est
prévenu, même si on s’y attend, difficile d’être insensible à la magie du spectacle. Cette disparition brutale d’une étoile, événement peu banal, est provoquée par l’imperturbable horloge de la mécanique céleste, et cette observation
permet de capturer à l’œil nu, de manière évidente et rapide, le mouvement d’un astéroïde de la ceinture principale.