Delaunay and Le Verrier: a strong hate

Delaunay and Le Verrier are among the theorician astronomers who marked the nineteenth century. Delaunay was born in 1816 and Le Verrier in 1811, their respective careers being paralleled. In 1854, Le Verrier replaced Arago as the director of the Paris Observatory, where his angry and authoritarian character made him hate his colleagues and employees. Le Verrier succeeds also to avoid the authority of the Bureau des longitudes on the observatory. His rival, Delaunay, will fight him from the Bureau des longitudes. Le Verrier will be deposed in 1870 after having writen to the Minister of Education. Delaunay will replace Le Verrier as the director of the observatory. However, Le Verrier will become again director in 1873 following the accidental death of Delaunay.

The following is the text of Delaunay’s letter to the ministry and his second letter following Le Verrier’s response: Delaunay is particularly aggressive and clear in his grievances.

Paris, le 9 décembre 1869.

Monsieur le Ministre,

Je manquerais à mon devoir si, dans les circonstances actuelles, je ne venais pas vous dire toute la vérité, si je ne vous exprimais pas mon opinion formelle et bien arrêtée sur le compte du directeur de l’Observatoire.

M. Le Verrier est certainement un homme de talent. Il a fait d’excellents travaux d’astronomie théorique, et a doté la science des meilleures tables que nous possédions sur le mouvement du Soleil, et des planètes Mars, Vénus, Mercure. Il est remarquable que le travail qui a conduit à la découverte de la planète Neptune, et qui a fait son immense réputation (avec l’aide de M. Arago), soit cependant la plus mauvaise de toutes ses productions : il n’a pas osé l’introduire dans les Annales de l’Observatoire, où il a reproduit tous ses autres mémoires. Mais, avec tout cela, M. Le Verrier n’est pas un savant hors-ligne, comme bien des personnes le croient. Il a été nettement et justement caractérisé par M. Biot, qui a dit de lui : « sa place dans la science vient immédiatement après les inventeurs » (Journal des Savants, septembre 1856).

En 1846, lors de la découverte de la planète Neptune, M. Arago, poussé par des circonstances hideuses dont il ne convient pas de soulever le voile ici, a élevé M. Le Verrier sur le pavois, et en a fait un homme extraordinaire, un des plus grands génies que la France ait produits. Quelques mois plus tard, M. Arago s’est aperçu de la faute énorme qu’il avait commise, mais le mal était fait et il ne dépendait plus de lui de le réparer ; ses dernières années ont été empoisonnées par la prévision des funestes conséquences qui devaient inévitablement en résulter.

À la mort de M. Arago (fin de 1853), l’Empereur a naturellement pensé à M. Le Verrier pour lui succéder à l’Observatoire. C’était tout naturel : la réputation de M. Le Verrier ne permettait pas qu’il en fût autrement. Mais le naturel de cet homme, qui n’était guère connu que de ceux qui, comme moi, l’avaient vu de près depuis plusieurs années, n’a pas tardé à se montrer au grand jour et à produire ses fruits.

Les parties dominantes de son caractère sont une audace et un charlatanisme tels que je n’en ai jamais vu de pareils nulle part. Ajoutez à cela que le mensonge sort de sa bouche avec tout autant de facilité que la vérité : il ment avec une impudence et une effronterie incroyables.

D’un despotisme fantaisiste et insupportable avec ses inférieurs, il passe à une platitude obséquieuse avec ceux qui sont au-dessus de lui et dont il peut attendre quelque chose. Il est d’une lâcheté à toute épreuve, et dès qu’il se sent pris, il fait le chien couchant ; mais c’est pour attendre le moment favorable de reprendre ses allures habituelles. En même temps, il parvient à faire trembler, par son audace, la plupart de ceux dont il a quelque chose à obtenir, et sur lesquels il peut avoir la moindre prise.

L’intérêt de la science n’est rien pour lui. Tout cède devant son immense orgueil, devant le désir de grandir aux yeux de la foule le piédestal qu’on a élevé à sa personnalité. Rien ne l’arrête : les décrets, les règlements, l’expression formelle de la volonté de l’Empereur, tout cela est mis par lui de côté ; il compte sur l’extrême bonté de Sa Majesté et cela lui a toujours réussi depuis 16 ans.

Les résultats de la haute position donnée à cet homme d’un caractère si infernal sont vraiment effrayants : ceux-ci conduits au suicide, ceux-là rendus fous, d’autres torturés avec une ténacité sans pareille, un grand nombre de carrières brisées, et, par-dessus tout, l’astronomie d’observation tuée en France, et pour longtemps, pendant qu’elle est en si grand honneur et en si grande prospérité partout, en Europe et en Amérique. Je n’exagère rien en disant qu’il y a peu de condamnés de cours d’assises qui puissent lui être comparés pour l’étendue et la gravité du mal qu’ils ont fait à la société.

Malheureusement, cet homme est soutenu. Que dois-je faire ? disait un jour l’Empereur, il y a 15 ou 18 mois, en s’adressant au maréchal Vaillant, en plein conseil des ministres, au moment où la question de l’Observatoire y était examinée. « – Sire, répond le maréchal, l’Observatoire est impossible avec Le Verrier, mais il est également impossible sans lui ! ». Le maréchal a sans doute trouvé un mot bien joli, car, pour mon compte, je le lui ai entendu répéter deux fois. « Comment, monsieur le maréchal, notre beau pays de France, qui a la prétention de marcher à la tête de la civilisation, ne pourrait-il pas fournir un homme pour diriger l’Observatoire à la place de M. Le Verrier ! Mais c’est par milliers qu’on en trouverait. Le premier venu, pourvu qu’il ait de la bonne volonté, ferait un meilleur directeur de l’Observatoire que lui. »

Pour conclure, Monsieur le Ministre, je dirai que
l’honneur de notre pays,
l’intérêt de la science,
l’intérêt même du gouvernement,
exigent qu’un pareil scandale cesse et que Le Verrier soit chassé de l’Observatoire.

En outre, l’Observatoire astronomique doit être affranchi de l’Association scientifique de France et du Service météorologique, deux parasites qui l’étouffent.

Vouloir essayer de replâtrer les choses en exigeant le fonctionnement régulier du conseil de l’Observatoire, sans rien faire de ce que je viens d’indiquer comme une impérieuse nécessité, c’est vouloir prolonger le mal en restant dans cette voie sans issue où l’on se trouve placé. Dès que M. Duruy eut quitté le ministère, Le Verrier s’est cru affranchi de toute entrave ; il comptait sur la complaisance du nouveau ministre, et s’est empressé de s’adonner à toutes ses fantaisies. Il voit qu’il s’est trompé, et il se dispose à recommencer le même jeu que par le passé, sauf à épier le moment où il pourra reprendre plus ou moins la liberté de ses allures. Ce n’est pas là évidemment ce qui peut vous donner satisfaction.

Tel est, Monsieur le Ministre, le fond de ma pensée sur la position déplorable de l’Observatoire impérial. J’ai tenu à ce que ces tristes détails fussent lus de vous d’abord ; mais je n’en fais nullement une communication confidentielle. Vous pouvez en faire l’usage que vous jugerez convenable. Je suis tout prêt à répéter, où et quand on voudra, ce que je viens de vous dire ici.

Je suis, avec respect…

Ch. Delaunay
Membre de l’Institut et du Bureau des longitudes.

Paris, le 29 décembre 1869.

Monsieur le Secrétaire général (du ministère),

Je ne puis résister au désir de vous faire part immédiatement de l’impression produite au Bureau des longitudes par la lecture de la lettre adressée par Le Verrier au ministre de l’Instruction publique en réponse à notre réclamation pour la bibliothèque. Cette lecture a soulevé l’indignation de nous tous. C’est une nouvelle infamie ajoutée à toutes celles dont cet homme s’est rendu coupable depuis si longtemps. Sa lettre n’est qu’un tissu de mensonges d’un bout à l’autre. Jamais le Bureau des longitudes n’a demandé depuis 16 ans que l’exécution pure et simple du décret de 1854 en ce qui concerne la bibliothèque : jamais il n’a élevé la prétention d’avoir sa bibliothèque à part, outre la bibliothèque commune. Jamais les ministres Fortoul, Rouland et Duruy n’ont eu à lui refuser quoi que ce soit sous ce rapport, puisque le Bureau a toujours réclamé strictement l’exécution du décret, ni plus ni moins.

Le Bureau s’arrange de manière à garder pour lui les livres qui lui sont envoyés, ce qui est bien naturel, tant qu’on n’exécute pas le décret ; jamais il n’a eu la prétention de les garder si le décret est exécuté.

Le Bureau a chargé une commission composée de MM. Faye, Villarceau, et de moi, pour arriver à la solution tant différée de cette difficulté relative à la bibliothèque. Nous écrivons à Son Excellence pour lui demander une audience, et, outre les explications que nous lui donnerons verbalement, nous lui remettrons une réponse écrite à la lettre si audacieusement mensongère dont le ministre nous a envoyé la copie. Mais je n’ai pas voulu attendre le temps que nécessitera nécessairement la marche officielle ci-dessus indiquée, pour vous faire savoir ce que nous pensons, et combien nous sommes tous indignés d’une pareille impudence.

Veuillez agréer…

Ch. Delaunay

Last update Friday 19 June 2020